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TEXTS

OICRM Journal

vol. 4, n°1 - May 2017

"Masques, op. 34 de Karol Szymanowski. Une lecture architecturelle des principes harmoniques de « Tantris le bouffon », et esquisse d’une trajectoire interprétative."

Karol Szymanowski est né en 1882 à Tymoszowka (actuellement Tymoshivka en Ukraine), petit village sous gouvernorat de Kiev au sein de l’Empire Russe. Considéré par les polonais comme l’héritier de Frédéric Chopin, il incarne aussi la figure du renouveau de la musique polonaise du XXème Siècle. Au cours des années 1915, s’émancipant hors de l’influence prégnante des compositeurs germaniques post-romantiques, Szymanowski s’est aventuré dans la voie d’une modernité musicale qu’il avait pu découvrir lors de récents séjours en France – séjours qui lui avaient permis d’entrer en contact avec Debussy, Stravinsky et Ravel. S’assimilant les techniques de composition de ces derniers, Szymanowski élabore à cette période une écriture tout à fait originale. Sans abandonner totalement la référence à l’idiome tonal, sa poétique se développe comme une synthèse de plusieurs univers musicaux de son époque : celui qu’il est convenu d’appeler l’ « impressionnisme » musical – caractérisé par l’emploi (au lieu de la simple gamme majeure/mineure du système tonal) d’une riche diversité d’échelles de sons aux propriétés remarquables (l’échelle par tons entiers, l’échelle octotonique, etc.) –, mais aussi celui du russe Scriabine, chez qui joue un rôle central le chromatisme hérité de Wagner.

Nous organisons cet article en deux parties : tout d’abord un état des lieux scientifique de la littérature consacrée aux Masques, op. 34, suivi d’une clarification méthodologique et de la démarche, puis l’analyse choisie de la pièce centrale du triptyque Tantris le Bouffon, certainement la plus difficile d’accès du point de vue de la complexité harmonique dont elle fait preuve...

Revue Studia Universitatis Babes-Bolyai

June 2016

"La symétrie harmonique dans la construction formelle de Don Juan (Masques Op. 34) de Karol Szymanowski."

A l’écoute de la Sérénade, au premier regard sur l’œuvre, l’auditeur ou l’analyste percevra la répétition fréquente d’un motif caractéristique (nommé élément alpha), énoncé à la main gauche, légèrement marcato, constitué d’une idée de deux mesures réitérée immédiatement, ramassé sur lui-même du point de vue de la distance intervallique parcourue, et expressivement peu développé. Nous rencontrons l’élément alpha cinq fois au sein du déroulé de la pièce : au Piu mosso (pg. 29), aux A Tempo (pg. 30 1er système, et pg. 30 5ème système), au Vivace Scherzando (pg. 33), et au Vivace (pg. 35). Lors de la première occurrence, pg. 29, l’élément alpha se voit suivi d’une section de plus large ampleur (nommée élément béta), au caractère énergique et passionné, qui doit, selon toute vraisemblance, être considérée comme le développement de notre motif. En effet, les accords en contretemps, ponctuations harmoniques d’un accompagnement de guitare, figurent l’élément de constante qui lie les deux sections ensemble. A la page 30, Szymanowski reproduit le même schéma d’enchainement tandis que l’élément beta bénéficie à présent d’un accompagnement plus fourni mais harmoniquement similaire. En revanche, au 5ème système de la page, la répétition de l’élément alpha prend les traits d’un espace transitionnel voué à introduire un nouvel espace dont nous parlerons plus avant. A la page 35, dans une sorte de procédé miroir, l’élément béta (Tempo I) – à présent à son paroxysme expressif, où l’instrument se pense orchestre par l’étagement et l’imbrication texturelle –  est donné avant l’élément alpha (Vivace) et virtuellement séparé de celui-ci par un accord frappé, suivi d’un point d’orgue. 
Or, si l’élément beta est, au fil de ses répétitions, toujours centré autour du pôle d’attraction réb, ce n’est pas le cas de l’élément alpha qui, après son exposition (pg. 29), se trouve transposé lors de ses occurrences aux pages 33 et 35. Le parcours mélodique qu’accomplit la main gauche pose les jalons d’un geste tonal, affirmant la première note du motif comme fondamentale à travers son rapport à sa 4te descendante (V), et la broderie au ton supérieur qu’il présente (II)...

Eunomios Online Journal

April 2016

"The implication of harmonic relations in the architectural framework of Scheherazade (Masques Op. 34) by Karol Szymanowski."

The Masques Op.34 tryptic is one of Karol Szymanowski’s greatest piano works, written between 1915 and 1916 after another two major cycles: Métopes Op.29 for piano solo, and Myths Op.30 for piano and violin. The piece “Scheherazade”, about ten minutes long and placed at the beginning of the cycle, was in fact written last. It directly refers to the Persian mythology of The Tales of the Arabian Nights, which relate the tale of Scheherazade. Night after night she continued telling her stories to the sultan until managing to put an end to the massacre of virgins he was killing after making them his wives, persuaded of the treacherousness of the feminine soul. Szymanowski does not accomplish a strict musical illustration of the legend but he translates its essence. This work is all about bewitchment: by the power of the imaginary, with each new tale Scheherazade takes on a new appearance in the eyes of the sultan; in order to save her own life she reinvents relentlessly, draped in the veil of the oneiric. Desiring to illustrate these aspects, Szymanowski conceives the work as a succession of multiple moments which at first sight seem antinomical. Like a personality which refers to a unique and individual being beyond its multiple facets and its changing aspect, the true nature of this work can be fully understood only after having revealed the unifying principle which binds together all these different musical moments. Just as, in the case of a sculpture, in order to understand the technicality it is essential to know exactly which are the characteristics and the limits of the raw material, it is the harmonic structure and its implications in the formal design that will make the object of this study...

L'Education Musicale Revue

N°579 - May 2015

"Interpréter Rameau : Entretiens croisés entre Christophe Alvarez, Dimitri Goldobine et Jonathan Benichou."

- Pensez-vous comme Paul Valery que « l’exécution d’une œuvre d’art comme une œuvre d’art » est la meilleure des attitudes ? Ou comme Nikolaus Harnoncourt que « chaque époque possède les meilleures ressources instrumentales pour l’exécution de sa musique » ?

CA : Nous abordons ici une problématique qui touche les fondements de l’interprétation, la façon même dont le musicien s’inscrit dans tel ou tel courant esthétique, dans telle ou telle pensée musicale. Il lui faudrait ainsi se déterminer par rapport à une approche « historique » ou « moderniste ». Par quelques références, essayons de dessiner les contours de la question. Le New Grove Dictionary of Music définit l’art interprétatif comme « un type de déviance, par rapport à un idéal déterminé de façon précise, plus ou moins toléré (ou encouragé) par le compositeur ». Notre formation théorique musicale nous a dotés de moyens précis et efficaces pour traiter de généralités analytiques. Nous disposons d’un vocabulaire scientifique et de critères détaillés conçus pour peser et quantifier. Toutefois, nous nous trouvons démunis lorsqu’il s’agit d’évaluer des qualités artistiques ou des notions expressives, car celles-ci ne peuvent être appréhendées que par l’imagination, l’empathie du sentiment, ou bien l’intuition. N’envisager la musique que d’une façon ontologique comporte le risque de n’y voir que des notes sur des pages, et non plus des sons en mouvement. Il faut en effet se garder de toute confusion entre l’objet physique (le texte), l’acte (l’interprétation) et l’idée (l’œuvre). Comment alors interpréter une musique donnée ? Les tenants d’une approche historique nous affirmeront que l’interprétation idéale est celle qui demeure fidèle aux intentions du compositeur. Nous avons évoqué plus haut la question des intentions et de la difficulté de les caractériser de façon définitive. L’interprète d’aujourd’hui n’aura jamais le même rapport à l’œuvre que le musicien baroque ; les codes du langage musical ont été modifiés, le rapport à l’instrument n’est plus le même, notre perception du goût musical a changé… L’approche « moderniste » quant à elle souhaite concilier l’ancien avec les apports et les ressources que nous offre notre époque. La différence principale se situe dans le fait que certains interprètes construisent leur réalisation en terme d’effet (émotionnel, subjectif, métaphysique), tandis que d’autres construisent en terme de son (via l’exploitation de faits empiriques, externes, concrets). D’un point de vue plus philosophique, c’est une dualité entre idéalisme, c’est-à-dire distinction entre l’esprit et la lettre, entre le contenu et la forme, et positivisme, c’est-à-dire le rejet de toute expérience sensorielle, l’esprit se trouvant dans la lettre, le contenu dans la forme. Cette dualité se retrouve dans la caractérisation de celui qui réalise le texte musical en sons (le performer), soit en terme « d’interprète », soit en terme de « transmetteur ». Pour Stravinsky, le « performer » idéal était un exécutant ; celui qui faisait preuve d’une fidélité exemplaire au texte musical, évitant toute altération d’aucune sorte au nom d’une expressivité nuisible basée sur des idées extra-musicales. L’écrivain Thomas Hulme a caractérisé cette opposition esthétique historique/moderniste par l’utilisation des termes géométrique/vital. La problématique qui se dégage de la pensée dite géométrique est celle de la volonté de nier les qualités vivantes, mouvantes, de toute œuvre d’art, partant du principe que celle-ci est conçue sur le modèle de la nature. Toute tentative de fixer à jamais les caractéristiques suprêmes, divines, de l’Art, conduirait à sa cristallisation et à sa mort certaine. Que faire alors, quelle voie adopter pour l’interprète soucieux de respecter l’esprit du compositeur tout en impliquant son être profond dans l’expression artistique ? Il nous faut accepter que nous avons de l’histoire une vision parcellaire, et que d’une certaine façon nous la distordons lorsque nous essayons de nous la représenter. Je conclurai avec les mots du claveciniste Kenneth Cooper, en guise de conseil incarnant une voie médiante entre deux esthétiques extrêmes : « Pour tâcher de réaliser les intentions du compositeur, nous avons certes besoin d’une connaissance approfondie, mais aussi et surtout d’un élan vital né de notre propre intuition, afin de combler les espaces d’incertitude qui demeurent entre les faits historiques. Ceci, seulement, pourra transformer la connaissance froide en actes. »

- Interprétation et réception, s’agit-il de bousculer les auditeurs ?

CA : Le but principal de l’interprète est de convaincre son auditoire. Il doit s’emparer de son esprit, le persuader que sa vision est la seule et unique possible. C’est un art de la suggestion. A ce titre, je crois que le musicien doit prendre garde à tout type de posture idéologique qu’il pourrait être tenté d’adopter vis-à-vis de son rapport au public. Tandis que l’auditoire se remet entre ses mains, que le voilà libre de le guider où il le désire, de lui faire expérimenter l’émotion qu’il désire, il lui serait aisé de se sentir investi d’une sorte de pouvoir sur les consciences. Cependant, je ne pense pas que l’orgueil d’un interprète, partant de la volonté de celui-ci d’imposer sa vision, d’une certaine façon de « passer en force », puisse être compatible avec le rôle de transmetteur qui lui incombe. Pour rendre grâce aux vérités de la partition à l’instant du concert (j’entends par là une fois que le travail analytique, technique et expressif a été réalisé en amont), l’interprète ne devrait pas chercher à interpréter à tout prix, mais au contraire demeurer ouvert, sensible au silence qui l’environne dans lequel réside déjà le souffle expressif qui le portera : « Sur scène, avant de commencer une œuvre, j’attends…il faut être totalement vide » (Samson François).

- Pensez-vous que la musique ancienne doit être jouée de manière expressive et de quelles expressions parlez-vous ?

CA : Si l’interprète est en effet celui qui va traduire un discours d’une langue étrangère sans en altérer le sens, il lui faut maîtriser préalablement les codes requis pour comprendre ce langage et en restituer la teneur avec justesse. Nous comprenons aisément pourquoi toute interprétation empreinte d’une volonté d’historicité doit être nourrie d’une culture contextuelle lui permettant d’appréhender les raisons qui ont poussé le compositeur à écrire telle musique de telle façon. Si cela paraît simple sur le papier, les choses sont souvent bien plus complexes dans les faits. Malgré tous nos efforts archéologiques, nous ne parviendrons certainement jamais à connaitre précisément tous les facteurs, tous les éléments, toutes les influences, qui ont précédé la naissance d’une œuvre ; nous ne connaitrons certainement jamais les plus fines et les plus subtiles volontés du compositeur sur l’interprétation de son œuvre. La problématique est complexe, d’autant plus lorsque l’histoire multiplie les paradoxes ! Ainsi, que penser de l’attitude d’un Grieg, d’un Debussy, d’un Granados ou d’un Stravinsky face à l’interprétation par eux-mêmes de leurs propres œuvres ? Le résultat est sidérant d’incohérence, criant de contradiction, tant leurs enregistrements laissent apparaître de nettes divergences entre texte écrit (gestion des tempi et dynamiques notamment) et résultat sonore. Pourrions-nous alors formuler l’hypothèse que les compositeurs changent leur regard sur l’œuvre selon qu’ils se posent soit en créateurs, soit en interprètes ? C’est là une question fort subversive, mais qui à mon sens mérite attention. Dans ce cas, ne serait-il pas permis à l’interprète de se libérer d’un carcan – parfois trop rigide – de respect quasi-scientifique du texte musical et d’ouvrir de nouvelles voies expressives ; l’auditeur, enfin, ne pourrait-il pas se laisser aller sur ces chemins nouveaux, libéré de la peur d’outrepasser un interdit ? Bien évidemment, au préalable de toute soif d’aventure, pour l’interprète comme chez l’auditeur, il est de première nécessité d’interroger sa propre notion du goût. Il n’existe pas à ce jour de théorisation, ni de définition du « bon goût », et pourtant nous savons combien ce terme, éminemment subjectif, a été à l’origine de multiples évolutions expressives. Caractériser, incarner en musique son goût, c’est d’abord aller chercher au fond de soi, creuser dans ses propres expériences de vie. C’est aussi écouter son intuition, une « intuition informée » par des recherches contextuelles, par un contact constant avec l’œuvre, par une imprégnation de ses plus infimes détails. Il faut vivre aux côtés de l’œuvre, y penser sans cesse, l’emporter avec soi partout et à chaque instant ; c’est pour cela que l’on ne joue bien que ce que l’on aime. Enfin, à l’instant du concert, seul l’interprète sincère, se livrant totalement, dans toute sa nudité intérieure, parviendra à toucher son auditoire de façon profonde : « il voulait vous aimer, et non vous dévorer comme un virtuose » (au sujet de F. Chopin, Léon Escudier, 1842).

- La partition baroque n’est qu’un canevas : comment la lisez-vous ? Comment la jouez-vous ? Quel degré de fidélité montrez-vous par rapport à la partition d’origine ?

CA : Une majorité des partitions contient les éléments nécessaires à la restitution de son essence, c’est-à-dire une composante rythmique et des hauteurs fixées. A l’intérieur de ce cadre, l’interprète se voit doté d’un large champ de liberté en ce qui concerne l’articulation des lignes phraséologiques, l’échelonnage des dynamiques, le choix des tempi (lorsque ceux-ci ne sont pas fixés par une donnée métronomique claire). Dans la musique baroque, ces points précis d’interprétation sont sans cesse questionnés et donnent lieu à un vaste débat entre les tenants de l’historicité et les partisans du modernisme. L’art de l’ornementation, qu’une majorité d’interprète doit aujourd’hui réapprendre, est également sujet à discussion. Enfin, nous appréhendons, grâce à de nombreux écrits de l’époque, l’importance que tenait la part de l’improvisation dans la pratique musicale baroque. Il est donc nécessaire de réévaluer le terme de « fidélité » lorsque l’on aborde une partition de musique ancienne, à l’aune de l’esprit artistique de cette époque qui ne considérait pas une œuvre musicale comme définitivement fixée, mais plutôt comme un objet en constante évolution, mobile et adaptable au contexte de sa représentation...

STEAUA Journal

N°5-6 - Juin 2014

"La phonographie, une nouvelle approche de l’œuvre musicale : une esquisse des enjeux et défis principaux posés à l’interprète."

Depuis le premier enregistrement réalisé en 1877 par Thomas Edison, la technologie phonographique n'a eu de cesse de se développer et de se perfectionner. De nos jours, le numérique offre des potentialités de création et de manipulation du son toujours plus grandes, et l'industrie phonographique produit des milliers de documents sonores diffusés dans le monde entier.

 L’interprète désirant réaliser un enregistrement d’une œuvre se trouve rapidement confronté aux réalités du support phonographique et aux nécessités qu’il impose. Par essence, l’acte de production d’un enregistrement se trouve à l’opposé du concert.

Détaché de l’aspect visuel de l’artiste en performance, l’enregistrement acquiert une dimension quasi-squelettique en ce sens que la pensée interprétative de l’instrumentiste s’expose seule, sans artefacts. Aucun effet scénique ne pourra pallier à une carence de réflexion sur les vérités du texte, et à un manque de projection conceptuelle de l’articulation de l’œuvre.

De plus, l’évènement que constitue le concert est unique, et ne peut être répété de façon identique. Lorsqu’une imperfection survient, la voilà immédiatement emportée par le flux musical ; absorbée, dépassée, elle ne demeure pas dans les mémoires. En revanche, une telle imperfection présente dans un enregistrement prendrait un sens tout autre. Par le truchement des auditions successives, le seul petit défaut assumerait une importance considérable, du fait que nous connaitrions le moment de sa survenance, que nous l’attendrions avec une appréhension qui finirait par occulter le reste de la réalisation interprétative...

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